J’avoue que je l’aime bien, moi, ce pauvre homme riche. Et Jésus aussi d’ailleurs. Je l’aime bien, parce que finalement, il me ressemble, il nous ressemble. Pas bien difficile de s’identifier à lui. C’est ce qu’on appelle un bon juif, qui observe scrupuleusement la Loi de Moïse. Aujourd’hui, on dirait que c’est un bon chrétien, qui va à la messe tous les dimanches, et qui essaie de vivre en conformité avec les valeurs de l’Evangile. Et qui a très envie d’aller plus loin. « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Jésus, dont l’Evangile précise qu’il le regarde avec amour, le bouscule, l’invite à faire un pas de plus : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as, et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Un appel direct, en personne : cet homme riche aurait pu rejoindre la bande des douze, devenir l’un des disciples. « Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens ».
Ne vous est-il pas arrivé, comme moi, de vous sentir aussi parfois bien mal à l’aise, attristé, en refusant, toujours pour de bonnes raisons, un appel qui vous était lancé ?
L’Evangile ne dit pas ce qu’est devenu cet homme riche. Il nous rapporte en revanche le commentaire de Jésus : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Et ensuite la réaction des disciples : une fois de plus, ils ne comprennent rien. Pas tant l’attitude de l’homme riche, que celle de Jésus qui semble condamner les riches à ne pas pouvoir accéder au Royaume.
Attention ici au contresens : ce n’est pas une condamnation explicite de la richesse qu’il faut voir dans ces paroles de Jésus. Relisez la 1ère lecture, extraite du livre de la Sagesse : il invite bien à préférer la Sagesse, ce que nous appellerions aujourd’hui l’Amour de Dieu, aux richesses. « En face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue ». Mais dans la tradition biblique, la richesse matérielle est longtemps considérée comme la récompense du juste : « Tous les biens me sont venus avec elle, et, par ses mains, une richesse incalculable ». En revanche, Jésus s’inscrit dans le prolongement des écrits des sages et des prophètes d’Israël, qui interrogent avec constance : quel usage fais-tu de tes richesses ? Ce qu’il souligne chez cet homme riche, c’est que cet homme est enchaîné à ses richesses : il n’est plus libre. Elles l’empêchent de répondre à l’appel du Christ.
Voilà l’explication de son refus. Voilà aussi l’explication de sa tristesse, quand il se détourne de Jésus.
La même question mérite d’être posée à chacun de nous, présents ici ce matin. Nous qui fréquentons régulièrement cette église. Vous, les parents de Hector, Jules et Marceau, qui présentez vos enfants au Baptême. Si nous sommes ici, malgré toutes les bonnes raisons que nous aurions d’être ailleurs, c’est que nous sommes attirés par Jésus. Que nous avons envie de le suivre. Que nous faisons encore confiance à son Eglise, malgré le visage défiguré qu’elle présente trop souvent, cette semaine encore avec l’effroi et la honte ressentis après la publication du rapport de la commission sur les abus sexuels dans l’Eglise. Oui, comme l’homme riche de l’Evangile, nous allons vers Jésus, pour lui demander : « Que dois-je-faire ? » Il nous regarde, il nous aime, et il nous dit : « Viens, et suis-moi ».
Pour lui répondre, il faut nous interroger : quelles sont mes chaînes ? Qu’est-ce qui m’empêche de répondre oui à Jésus, et de le suivre, en toute liberté ?
Pas seulement nos biens matériels : nous ne sommes pas tous appelés à faire vœu de pauvreté ! Mais aussi nos habitudes, notre confort, parfois des attachements affectifs mal ajustés, des blessures, quelquefois profondément enfouies. Souvent aussi, un peu comme l’homme riche de l’Evangile, une mauvaise interprétation du message de l’Evangile : suivre Jésus, ce n’est pas simplement respecter un code de bonnes pratiques morales et religieuses. C’est risquer toute sa vie par amour… Beaucoup plus exigeant ! « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants. Elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ». Vous reconnaissez les propos de la 2e Lecture, dans toute leur radicalité évangélique.
Avant de proclamer notre foi en Christ, avant de célébrer avec leurs parents parrains et marraines les baptêmes dans cette même foi de Hector, Jules et Marceau, prenons un temps de silence, pour faire honnêtement notre examen de conscience : suis-je vraiment libre pour répondre à l’appel de Jésus ? Quelles sont les chaînes qui me retiennent de le suivre, et qui parfois me rendent triste et sombre ?
Et demander à Jésus de nous envoyer son Esprit libérateur : avec mes propres forces et ma seule volonté, je suis incapable de briser mes chaînes pour répondre à son appel.
Mais Jésus nous l’assure : « tout est possible à Dieu ».
AMEN
Loïc LAINE, diacre
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