Homélie du dimanche 18 octobre 2020

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« Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? »

Par ces mots, les pharisiens cherchent à tendre un piège à Jésus : s’il répond non, et incite ses compatriotes à refuser l’impôt, il prêche la révolte et devient une menace pour l’occupant romain. Et s’il répond oui, alors il passera pour un collaborateur avec l’occupant, et perdra toute chance d’être reconnu comme le Messie, le libérateur d’Israël. Dans tous les cas, il se condamné à mort.

Le piège est grossier… et Jésus bien sûr, comme chaque fois qu’il est en conflit avec les pharisiens et les autorités religieuses juives, le déjoue habilement, par une question qui renvoie ses interlocuteurs à leurs propres contradictions. Car cet impôt, eux-mêmes, bien sûr, ils ne refusent pas de le payer !

Une question qui renvoie aussi au rapport que chacun établit avec César, c’est-à dire les autorités en place, avec Dieu, mais aussi avec ses frères. Une question qui reste d’une grande actualité. Je vous propose de l’éclairer avec trois petites notes.

« Rendez donc à César ce qui est à César ».

La formule n’est finalement qu’un constat très réaliste. Qu’on ne se trompe pas en effet sur ce qu’elle signifie : elle a parfois été interprétée comme une invitation servile à la soumission aux autorités en place, quelles qu’elles soient.

Rien à voir avec le message de la Bible, qui présente un Dieu qui libère son peuple de toutes les formes d’esclavage. Encore moins avec celui de l’Evangile : Jésus manifeste une grande liberté à l’égard de toutes les autorités, aussi bien religieuses que politiques.

Mais de fait, comme chrétiens, nous sommes bien citoyens de la Cité des hommes, pour reprendre la formule de saint Augustin. Nous devons donc nous soumettre à ses autorités et à ses lois, dans la mesure où elles sont légitimes. Et nous sommes invités à prendre toutes nos responsabilités dans sa gestion

Ecoutons à ce propos le pape François, dans sa nouvelle encyclique, Fratelli tutti, publiée il y a deux semaines. Cinq ans après Laudato si’, il adresse à toute l’humanité, en pleine pandémie, un nouveau message, sur le thème de la fraternité. Méditant la parabole du bon Samaritain, il nous invite « à raviver notre vocation de citoyens de nos pays respectifs et du monde entier, bâtisseurs d’un nouveau lien social » (66), fondé sur la fraternité. Et il ajoute : « Peut-il y avoir un chemin approprié vers la fraternité universelle et la paix sociale sans une bonne politique ? » (176).

Alors, oui, rendons à César ce qui lui appartient, et n’ayons pas peur de nous engager pour participer à la construction d’une Cité des hommes plus fraternelle. Mais sans confusion des plans, celui de César et celui de Dieu.

Ce sera ma deuxième note : ne confondons pas César et Dieu, politique et religion.

« L’encyclique Fratelli Tutti est-elle trop politique ? » La question n’est bien sûr pas dans les lectures de ce jour. C’était le titre de la page débat du journal La Croix, au lendemain de la parution de l’encyclique. François y présente un constat très sombre de notre monde, avec un premier chapitre consacré aux « ombres d’un monde fermé ». Sa critique est sévère, du système « néolibéral », des « populismes » et des dérives « individualistes » de la mondialisation, des replis racistes et nationalistes, des « attitudes xénophobes », y compris au nom de la foi. « La foi, de par l’humanisme qu’elle renferme, doit garder un vif sens critique face à ces tendances et aider à réagir rapidement quand elles commencent à s’infiltrer » (86). Voilà de quoi faire grincer quelques dents, jusque dans nos églises…

Oui, cette encyclique est très politique, et c’est heureux. Quand les dirigeants mondiaux naviguent à courte vue, oubliant trop souvent le bien commun de l’humanité, François rappelle le sens profond du service de la Cité des hommes, « l’amour politique ». « Cette charité, cœur de l’esprit de la politique, est toujours un amour préférentiel pour les derniers qui anime secrètement toutes les actions en leur faveur » (187).

Mais si son discours se fait politique, il ne se fait jamais partisan. Fratelli tutti, comme Laudato si’ avant elle, n’est pas le programme d’un parti politique ou d’un candidat aux élections. C’est beaucoup mieux que ça : c’est un discours prophétique pour bousculer nos conforts et nous faire réagir ; c’est une vision pour redonner de l’espérance dans un monde très sombre ; c’est une proposition pour pousser à l’engagement et rechercher ensemble des solutions. « L’espérance est audace, elle sait regarder au-delà du confort personnel, des petites sécurités et des compensations qui rétrécissent l’horizon, pour s’ouvrir à de grands idéaux qui rendent la vie plus belle et plus digne. Marchons dans l’espérance ! » (55), écrit encore François.

Une espérance qu’il enracine en Dieu, bien sûr : « En effet, Dieu continue de répandre des semences de bien dans l’humanité » (54).

Voilà qui nous conduit à ma troisième note : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».

Une façon pour Jésus de nous mettre en garde contre l’idolâtrie des pouvoirs humains, et de ceux qui l’incarnent, pour toujours remettre Dieu à sa juste place : la première, et Lui rendre grâce. « Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi ! », chante le Psaume.

Ecoutons le prophète Isaïe, qui annonce le roi de Perse Cyrus comme instrument malgré lui de la libération d’Israël. « Je t’ai rendu puissant, alors que tu ne me connaissais pas ». Le sauveur n’est pas Cyrus, ou n’importe quel homme providentiel d’hier ou d’aujourd’hui. « Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre ». Indispensable et bienheureux rappel du prophète Isaïe, que Paul traduit en profession de foi trinitaire dans sa lettre aux chrétiens de Thessalonique : « Sans cesse, nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ, en présence de Dieu notre Père », le tout par la « puissance et l’action de l’Esprit Saint ».

C’est dans la foi en ce même Dieu Père, Fils et Esprit que vos enfants vont être baptisés, dans quelques instants. Un Dieu qui nous libère et qui nous sauve, par la mort et la résurrection de Jésus. Un Dieu qui nous appelle à la Vie. Les mots et les gestes du baptême nous le rappellent.

César n’est que César. Citoyens de la cité des hommes, nous devenons par le baptême citoyens de la Cité de Dieu. Non pas pour fuir la réalité du monde : nous restons pleinement solidaires de tous nos frères et sœurs. « Personne ne se sauve tout seul, il n’est possible de se sauver qu’ensemble » (32), rappelle François.

Mais pour faire grandir dans la Cité des hommes le Royaume de Dieu inauguré par Jésus. Pour vivre dans ce monde fermé et angoissé le programme de fraternité universelle proposé par François.

Je lui laisse le mot de la fin, avec un extrait de la prière qui conclut Fratelli tutti :

« Notre Dieu, Trinité d’amour,

par la force communautaire de ton intimité divine

fais couler en nous le fleuve de l’amour fraternel.

Donne-nous cet amour qui se reflétait dans les gestes de Jésus

dans sa famille de Nazareth et dans la première communauté chrétienne ».

AMEN

Loïc Lainé, Diacre

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