Homélie du Père Sebastien de Groulard du 13 septembre 2020

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« Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois devrais-je lui pardonner »

Qui parmi nous, lorsqu’il a été injustement victime de la méchanceté, de l’injustice, de la colère d’un autre, n’a eu comme premier réflexe le désir de se venger ?

Cet été, avec des amis, nous avons reparlé des deux très beaux films tirés de l’œuvre de Pagnol – « Jean de Florette » et « Manon des sources ».

Dans le premier volet, Jean de Florette, homme de la ville, vient s’installer sur une terre qu’il a reçue en héritage dans un petit village de Provence. Cette terre a de la valeur parce qu’il y coule une source. Mais deux hommes du village – le papet et Ugolin – aimeraient avoir cette terre. Alors, avant l’arrivée de Jean de Florette, ils bouchent la source avec du ciment. Les autres villageois se taisent. La terre ne vaut plus rien. Jean de Florette s’épuise à cultiver la terre, allant chercher de l’eau loin, trop loin, avec des bidons, à dos d’âne. Il meurt d’épuisement, laissant seules sa femme et sa fille, Manon – qui a 5 ans. Le papet et Ugolin leur rachètent la terre pour une bouchée de pain.

Le deuxième volet, Manon des sources, se passe 15 ans plus tard. Manon a grandi dans les collines, recueillie par un couple de bergers. Un jour, cachée dans un buisson, elle entend deux chasseurs évoquer le malheur de son père. Elle apprend que les villageois connaissaient l’existence de la source qui a tant manqué. Jean de Florette est mort du fait du silence des villageois et la méchanceté du papet et d’Ugolin. Manon crie sa rage dans la colline. Peu de temps après, elle découvre par hasard le ruisseau souterrain qui alimente la source du village, en amont dans les collines. Alors, Manon décide de venger la mort de son père en bouchant à son tour ce ruisseau avec du ciment. C’est l’été. Le soleil tape très fort. L’eau s’arrête de couler à la fontaine du village. Les villageois sont paniqués parce que toutes les récoltes vont être détruites… et nous sommes presque contents, avec Manon, de ce qui arrive aux villageois.

Qui parmi nous, lorsqu’il a été injustement victime de la méchanceté d’un autre, n’a pas eu le désir de se venger ?

Toutes nos vies sont tissées de relations. Relations familiales, relations d’amitiés, relations professionnelles, relations entre générations. Toutes ces relations sont fragiles. Il peut nous arriver de faire du mal à d’autres. Il peut aussi nous arriver d’être victime du mal, du péché des autres. Injustement confrontés à la lâcheté, la colère, la paresse, le mépris des autres. Notre mémoire porte en elle comme des bleus. Des ecchymoses. Chacun aurait sa liste. J’ai la mienne…

A chaque fois, la tentation est la même : faire mal à celui qui nous a fait du mal – ne serait-ce que pour qu’il comprenne notre souffrance.

C’est le premier réflexe, de notre humanité blessée. Cette loi du talion que l’on trouve dans l’Ancien Testament : « œil pour œil, dent pour dent ». En pensant à telle ou telle personne, un chemin de pardon semble peut-être humainement impossible. Les blessures sont tellement profondes…

Mais à quoi cela peut-il bien nous mener ? Le geste de Manon des sources – l’obstruction de la source du village – ne menait à rien : uniquement à la mort du village que les habitants allaient devoir quitter pour aller cultiver la terre ailleurs. Alors une nuit, avec l’instituteur, Manon va déboucher la source.

Il en est toujours ainsi. La vengeance, la surenchère dans le mal, l’escalade de la violence ne conduit qu’à la mort. Pas forcément la mort physique, mais une mort dans nos relations ; qui laisse des traces en notre cœur.

Mais nous sommes faits pour la vie, pas pour la mort. C’est pourquoi il nous faut détester la vengeance et plonger sur le versant de la miséricorde. C’est l’injonction musclée de Ben Sirac le Sage dans la première lecture : « Rancune et colère, voilà des choses abominables où le pécheur est passé maitre ». « Ne garde pas de rancune envers le prochain » dit-il encore.

L’évangile du jour veut nous aider à prendre conscience de l’impérieuse nécessité d’inverser ce cycle infernal, destructeur.

Désirer vivre de la miséricorde, vouloir pardonner son frère, ce n’est pas dire « tu m’as fait du mal, mais ce n’est pas grave, il n’y a rien ». Bien sûr, s’il y a de l’injustice, de la violence, du mensonge, il faut désirer de toutes ses forces que justice soit faite, que la paix vienne ; que la lumière se fasse.

Mais une justice reliée à la miséricorde. Une justice qui n’entretient pas la rancune. La fixation sur le mal commis sans possibilité de rachat. Sans avenir possible.

Ce qui frappe à la lecture de l’évangile de ce jour, c’est la dureté du serviteur qui refuse de remettre la dette de 100 pièces d’argent alors qu’une dette de 60 millions de pièces d’argent lui avaient été remises. Son attitude nous attriste, comme elle attriste ses compagnons qui vont rapporter l’affaire au maitre.

Ce qui manque à cet homme, c’est d’avoir été saisi par la miséricorde. Il n’a pas consenti à se laisser toucher par la miséricorde.

C’est pourtant là la grande affaire de notre vie : pour vivre de la miséricorde entre nous ; pour ne pas nourrir de rancunes mais être souples, libres de la liberté des enfants de Dieu, il nous faut d’abord laisser jaillir la vie divine en nous.

L’eau, au jour du baptême – dans quelques instants, deux enfants vont être baptisés – évoque combien l’amour du Christ veut être comme une eau jaillissante, comme un torrent, veut s’écouler en nous.

Rassemblés ce matin, nous comprenons combien pour être des êtres de miséricorde ; que la rancune soit étouffée et que la vie de triomphe, il nous faut prendre soin de la source…

Le drame qui se noue, dans Jean de Florette, a trois causes… : la source peut être bouchée. Elle peut être oubliée. Des villageois ont pu aussi la laisser s’ensabler.

Notre tâche est donc là : non seulement ôter les cailloux qui la bouche – nos péchés – mais aussi veiller à ce que la source ne s’ensable pas, ou, pire encore, qu’elle soit oubliée.

Le lieu privilégié où nous prenons soin de la source sont les deux sacrements de la route – la messe, lieu de la communion et le sacrement de la miséricorde qui viennent nous recréer ; nous restaurer.

Pour nous permettre de boire à cette source, Jésus a confié une mission spécifique à ses 12 apôtres et à leurs descendants, les évêques – et à leurs collaborateurs, les prêtres. Les évêques ne peuvent pas tout faire seuls.

Hier, en assemblée paroissiale, nous avons évoqué la complémentarité des vocations ; le service spécifique que les prêtres sont appelés à rendre ; service de la communion et de la mission.

Ce matin, à l’office du bréviaire, je lisais cette très belle formule de Saint Augustin : « avec vous, je suis chrétien ; pour vous, je suis évêque ». Père Darius, tu pourrais dire la même chose ce matin : « avec vous, je suis baptisé ; pour vous, je suis prêtre ».

Merci père Darius d’être ainsi instrument de la miséricorde du Seigneur, au service des baptisés.

En cette rentrée scolaire, pour que cette année soit belle, désirons vivre des sacrements de la route. Alors, petit à petit, toutes nos relations s’en trouveront transformées. Elles seront plus simples, plus libres, plus joyeuses. Plus rayonnantes. Et le monde reconnaîtra – à travers nous – les merveilles de Dieu.

Vraiment, comme nous l’avons chanté avec le psaume, « bénis le Seigneur ô mon âme ! ».

Amen.

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