« Correction fraternelle ». Dans la bible, l’Evangile que nous venons d’entendre porte ce titre. Que l’on pense à la communauté paroissiale ou à nos familles, on a sans doute tous en tête un de ces moments de vérité finalement pas si fraternel. Les textes de ce matin ne nous parlent pas seulement de corriger l’autre, mais de se réconcilier avec lui, c’est-à-dire sauver la relation. Car s’il doit y avoir une explication franche, elle doit être motivée par l’amour. « Celui qui aime a pleinement accompli la loi », écrit Paul aux Romains. Je retiens quatre leçons.
La première, c’est ce qu’un jour, quelqu’un a appelé l’interdit du ‘tant pis’. J’ai été blessé par telle remarque, tant pis, je fais comme si rien ne s’était passé. Ou l’inverse, j’ai blessé quelqu’un, tant pis, je ne vais pas lui demander pardon, je vais juste essayer d’être plus aimable la prochaine fois. Souvent, ce n’est pas motivé par l’amour de l’autre, mais par la lâcheté. Or, encore une fois, comme nous le dit Paul, l’enjeu de l’enseignement du Christ, c’est l’amour. Si j’ai blessé l’autre, il est de mon devoir d’aller lui demander pardon. Cela semble assez normal, mais l’inverse est vrai : si l’autre a mal agi envers moi et s’il ne vient pas vers moi, il est de mon devoir de lui offrir l’occasion de prendre conscience de ce qu’il a fait. C’est ce que nous dit Jérémie dans le style de son époque. Si je ne dis pas à un frère ou un parent, une amie ou un paroissien, qu’il m’a blessé, je commets de la non-assistance à personne en danger : cette personne a besoin de savoir qu’elle a fait mal. Je dois aussi le faire pour moi-même, par amour de moi-même. Car si je ne dis rien, cette blessure qui m’a été infligée peut s’aggraver. Une petite remarque ou une attitude faite comme ça régulièrement peut miner ma confiance en moi, sans même que l’autre en ait conscience. Combien de couples s’infligent ainsi des blessures sans le savoir ! Bien sûr, on peut tenir compte du contexte, de la fatigue, du stress, mais si cela se produit régulièrement, il y a quelque chose à corriger. La blessure infligée par une personne à une autre est une menace pour leur relation.
Une autre leçon que je retiens, c’est la discrétion. « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. » Jésus ne dit pas de chercher justice sur la place du village en prenant tout le monde à témoin ! Cherche discrètement à régler le problème.
Troisième leçon : la réconciliation entre deux personnes est une responsabilité de la communauté. Si la première tentative n’a rien donné, Jésus invite à chercher une ou deux autres personnes et, si cela ne suffit pas, à convoquer toute la communauté. D’abord parce que le conflit entre deux personnes peut dégénérer et affecter la vie de la famille ou de la communauté. Mais aussi parce que s’appuyer sur d’autres personnes, c’est s’assurer que la démarche que j’entreprends est conforme à l’Evangile. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux », dit Jésus. Bien sûr, chacun d’entre nous a une relation personnelle avec le Seigneur et peut donc lui confier un problème dans la prière. Et le Seigneur me répond, mais il n’est pas toujours facile de discerner si ce que j’ai décidé vient de l’Esprit ou seulement de ma vision des choses. Si je fais appel à une ou deux autres personnes, elles-mêmes désireuses de vivre selon l’enseignement de Jésus, alors j’ai plus de chance d’agir comme le Seigneur l’attend de moi. Encore une fois, c’est le devoir de frères et de sœurs de communauté d’aider à la réconciliation entre deux membres. C’est une forme concrète de la communion des saints. Comme l’écrit Paul dans sa première lettre aux Corinthiens, « si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. » Il n’est pas chrétien de se désintéresser d’un conflit entre deux autres personnes.
Enfin, la quatrième leçon : considérer le fautif qui ne se repent pas comme un païen, c’est-à-dire l’exclure. Dans l’Evangile, on est dans un contexte de vie communautaire serrée ; ce n’est pas la situation de nos communautés paroissiales, mais cela peut l’être dans les familles. Toute tentative de résolution d’un conflit n’aboutit pas à la réconciliation. Comment comprendre cette consigne d’exclusion ? Je la comprends comme l’invitation à reconnaître que la relation est rompue, que tous les efforts nécessaires ont été produits, mais que cela n’a pas permis de sauver la relation. Reconnaître la rupture pour passer à autre chose, pour ne pas entretenir le conflit. Je prends de la distance avec la personne pour me libérer de la rancune et continuer à vivre et à aimer. Aimer les autres, d’abord. Si je laisse une blessure ronger mon cœur, ce n’est pas seulement la relation avec le fautif qui est abîmée, mais cela menace ma relation avec les autres. Rejeter la rancune pour ne pas laisser l’aigreur empoisonner mes autres relations. Mais aimer aussi celui qui m’a blessé. L’aimer à la manière du Christ, c’est-à-dire chercher ce qu’il y a d’aimable en lui, malgré le mal qu’il m’a fait.
On comprend bien que cela ne peut pas se faire avec ma seule volonté. Pour parvenir à vivre ces quatre leçons, j’ai besoin de puiser dans l’amour que me donne le Seigneur, lui qui a même pardonné le reniement du premier de ses disciples. Amen.
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