Jésus a vécu 30 années dans l’ombre, avec ses parents, sa famille, ses cousins, les gens de son village. Il a formé ses apôtres pendant 3 ans, au cours de sa vie publique qui s’est clôturée avec sa mort et sa résurrection. Et puis, Jésus est reparti vers son Père, d’où il était venu. C’est ce retour du Christ dans la vie de Dieu que nous fêtons, cette année, dans des conditions si particulières. Avec la fête de l’Ascension, nous avons le sentiment que le Temps Pascal nous met face à un grand vide : le Christ disparaît aux yeux de ses disciples et n’apparaîtra plus sur terre, tandis que l’Esprit-Saint n’est pas encore donné à l’Eglise. Cette impression de vide est orchestrée par la situation que nous vivons avec ce déconfinement qui nous oblige à nous « méfier » de la proximité avec les personnes que nous sommes amenés à côtoyer, pour nous protéger et les protéger contre le virus Covid 19, alors que nous avons tant besoin de manifestations d’amitié, d’affection et de tendresse.
La fête de l’Ascension du Seigneur met en lumière trois paradoxes.
Le premier : « Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes ».
Etonnant, vous ne trouvez pas ? Jésus est au milieu de ses disciples, ils le voient, et pourtant, certains eurent des doutes. Cela veut dire que la foi est au-delà du voir. Les apôtres ont buté sur cette réalité : il ne suffit pas de voir, il faut croire. Jésus n’est plus visible à nos yeux. Mais même s’il était visible, ça ne changerait rien à la démarche que nous sommes invités à faire. La foi n’est pas de l’ordre de l’évidence. Nous sommes affrontés au choix de croire. Il s’agit d’une décision.
C’est vrai, l’absence et le silence apparents de Dieu sont douloureusement ressentis par de nombreux contemporains. Peut-être sommes- nous dans ce cas ? Des croyants éprouvés dans leur chair et dans leur foi se détournent de la prière et des sacrements parce que Dieu leur apparaît comme totalement indifférent à leurs appels. Sommes-nous capables de rejoindre cette expérience de l’absence de Dieu tout en faisant confiance au Christ : « qui me voit, voit le Père » nous dit Jésus. « Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ! » crie l’apôtre Pierre.
2ème paradoxe : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».
Saint Augustin disait à propos de sa mère défunte (sainte Monique) : « Elle n’est plus là où elle était, mais elle est maintenant partout où nous sommes ». Cette magnifique formule s’applique bien sûr à toutes celles et tous ceux qui nous ont quittés, mais tout particulièrement à Jésus : « Jésus n’est plus là où il était (en Palestine où la paix, encore aujourd’hui, est loin d’être acquise), mais il est maintenant partout où nous sommes ». Il ne nous abandonne pas à notre sort ! Il nous assure de sa présence. Pour nous, c’est un encouragement formidable, un message d’espérance étonnant qui donne sens à notre propre vie, et à toutes celles et ceux qui nous ont quittés, qui nous manquent et que nous aimons toujours.
3ème paradoxe : « pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? »
L’ascension de Jésus est malgré tout une séparation. Mais cette séparation n’en est une qu’en apparence : c’est dans la foi que se réalise cette proximité dans l’Esprit-Saint, et c’est ce à quoi il faut s’appliquer. L’ascension met en œuvre une symbolique de la montée. Mais cette montée n’a pas pour but d’oublier la réalité terrestre, de la dénaturer, de faire de nous des rêveurs. Nous avons au contraire à faire pénétrer le Christianisme au plus profond des réalités humaines, pour qu’il agisse dans le cœur de chacune et de chacun, et dans la société, comme un ferment soulevant toute la pâte. C’est pour qu’il surnaturalise tout, c’est pour qu’au cœur de tout, il mette un principe nouveau, pour qu’il fasse entendre l’existence et l’urgence de l’appel d’en-haut.
Alors finalement, cette fête de l’Ascension n’est pas un adieu de Jésus, mais plutôt un « à-Dieu », un envoi de disciple, une mission qu’ils reçoivent de Jérusalem jusqu’aux extrémités du monde : « De toutes les nations, faites des disciples », non pas baptiser au maximum pour faire du chiffre, mais travailler à « l’évangélisation des profondeurs », comme l’écrit Simon Pacot dans ses nombreux écrits, en faisant pénétrer la Bonne Nouvelle du Christ dans le cœur des êtres humains.
Concrètement, cela doit pouvoir dire : avoir le souci d’élever le niveau de vie et de culture des gens, et particulièrement celui des plus démunis, avoir le souci de faire grandir celles et ceux qui se complaisent, ou que l’on maintient dans la médiocrité, avoir le souci de progresser ensemble, sans laisser tomber les « derniers de cordée ».
Par son Ascension, le Christ, n’abandonne donc pas le monde, mais « prend le pouvoir » sur tout ce qui nous est contraire, sur tout ce qui le domine et l’asservit. Tout n’est pas terminé pour autant : il faut encore que cette libération atteigne tous les humains. Les disciples doivent se mettre en route « jusqu’aux extrémités de la terre pour faire participer « toutes les nations » à la mort et à la résurrection du Christ, signifiée et réalisée par le baptême.
Ainsi s’effectuera concrètement la prise de pouvoir du Christ signifiée par l’Ascension : prise de pouvoir, non sur les humains, mais sur le mal, sur ce qui empêche l’homme d’être vraiment libre et vraiment homme . Car le Christ est la figure et la réalisation parfaite de la liberté humaine. C’est lui l’Alpha et l’Oméga, le prototype de l’homme réussi.
L’Ascension est donc une réalité mystérieuse, il faut bien le reconnaître, mais qui nous concerne toutes et tous personnellement. Nous ne sommes pas devant l’Ascension, nous sommes dedans, car nous sommes récapitulés dans le Christ. C’est ce que nous exprimons par le chant « Nous sommes le corps du Christ, chacun de nous est un membre de son corps, chacun reçoit la grâce l’Esprit pour le bien du corps entier ».
Amen, et gardons confiance dans l’avenir !
Jean-Yves Lecamp.
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