Homélie du Jeudi Saint

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Jeudi Saint : le sacrement du frère


Vous me pardonnerez cette notation très personnelle : je ne peux pas relire l’Evangile de ce jeudi soir sans penser à Jean Vanier. Beaucoup connaissent notre long engagement familial avec les communautés de Foi & Lumière et de l’Arche. Nous y avons souvent célébré le lavement des pieds, le sacrement du frère, comme l’appelait Jean Vanier. Il a beaucoup contribué à la redécouverte du sens de ce geste. J’ai personnellement côtoyé Jean Vanier à plusieurs reprises, et pu entendre ses enseignements sur le service du frère à partir de ce même Evangile. Expériences qui m’ont bien aidé à avancer dans mon cheminement diaconal, et qui continuent à lui donner une coloration particulière. Alors, bien sûr, comme beaucoup, j’ai été profondément blessé par les révélations concernant Jean Vanier, après tant d’autres. « Ah, non, pas lui, quand même… »
Elle semble bien lointaine, dans le moment que nous vivons, la tempête traversée par nos communautés chrétiennes il y a quelques semaines. Nous avons d’autres soucis, et nous traversons une autre tragédie. Et pourtant, c’était hier…

Au début du confinement dans son pays, un dominicain italien expliquait dans La Croix qu’il avait rêvé d’un grand Carême de purification, une longue période où seraient suspendus célébrations et sacrements, un grand jeûne de pénitence, pour laver notre Eglise de toutes ces tâches qui la souillaient. Le covid 19 nous impose, disait-il, ce temps de retour sur soi et de purification… mais à quel prix !

Prenons donc le temps ce soir de méditer encore ensemble au sens des gestes et des paroles de Jésus à son dernier repas, tels qu’ils nous sont rapportés par Jean.

Tous réunis autour de la même Table


Avez-vous d’abord remarqué que les Douze sont au complet, autour de la table ?
Jean insiste sur la présence de Judas. Jésus lui-même précise : « Vous n’êtes pas tous purs ». Jésus a donc lavé les pieds de Judas, en toute connaissance de cause. « Il savait bien qui allait le livrer ». Leçon d’humilité, pour chacun de nous, pour chacune de nos communautés. C’est un grand mystère : au milieu des disciples même le mal,  la division, étaient présents. Comme dans toutes nos institutions humaines, même quand elles sont fondées au nom du Christ Comme en chacun de nous, si nous nous regardons en vérité.

J’aime évoquer mon autre ‘’maître spirituel’’, Lanza del Vasto, ce tertiaire franciscain disciple de Gandhi qui fonda une autre Arche, autour de la non-violence. « La frontière entre le bien et le mal, disait Lanza, elle passe là ». Et il traçait de son doigt sur lui-même un trait, allant du haut vers le bas, de son front à son ventre, pour expliquer que cette frontière habitait chacun de nous. C’est d’abord par un travail constant de vigilance sur toi-même que tu peux te garder de franchir cette frontière si ténue qui sépare la lumière des ténèbres. Il semble aussi que plus un être humain s’approche de la lumière, plus sa part d’ombre aussi est béante. Tous les grands saints témoignent qu’ils sont l’objet de grandes tentations.

Voilà donc qui doit nous rappeler à cette exigence d’humilité, pour nous-mêmes et pour les autres. Ne sommes-nous pas victimes nous aussi, comme chrétiens, d’une maladie bien contemporaine ? Il nous faut des stars et des top-models ! En faisant trop vite de certains de nos frères des vedettes de la vie chrétienne, sommes-nous certains que nous leur rendons service ?

Oui, nous avons besoin de modèles dans la foi… Mais ne les mettons pas trop vite sur un piédestal ! N’oublions pas que nous n’avons qu’un maître, le Christ.

« Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds,
vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres
 ».

Privés d’Eucharistie, mais pas du Christ !

Une autre note sur l’Evangile de ce soir. Il est étrangement contemporain à notre situation actuelle. Dans l’Evangile de Jean, vous chercherez en vain un récit d’institution de l’Eucharistie : il n’y en pas. C’est justement le Lavement des pieds qui en fait office… Ensuite, Jean rapporte l’entretien suprême de Jésus avec ses disciples, une longue veillée où il leur donne ses derniers enseignements avant d’entrer dans sa Passion.

Comment vivons-nous nous-mêmes cette Semaine Sainte, si particulière cette année ?

Nous sommes privés d’Eucharistie.

Sans doute une occasion de nous sentir frères de tous ceux qui ne peuvent pas avoir accès fréquemment au Sacrement : les communautés chrétiennes dans les pays où les prêtres sont rares ; celles qui sont persécutées et ne peuvent se réunir au grand jour ; plus près de nous, les personnes âgées, isolées, qui ne peuvent plus venir à la messe.

Je pense aux chrétiens d’Amazonie, qui ont fait l’objet du récent Synode, et que notre Pape invite aujourd’hui à une inventivité pastorale. Je pense aussi beaucoup aux récits des chrétiens dans les camps de concentration, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ils étaient le plus souvent privés d’Eucharistie, mais ils ont su inventer des moyens pour vivre leur foi et se soutenir… Ils en avaient tant besoin ! C’est notamment parmi ces groupes de chrétiens qu’a germé, pendant la Guerre et dans les années qui l’ont suivie, l’idée de nouvelles formes de ministères et de vie chrétienne. Une réflexion qui contribuera, avec d’autres, à la rénovation du diaconat par le Concile Vatican II. N’ayons donc pas peur de faire nous aussi preuve de créativité pastorale, en cette période si particulière.

Car oui, nous le ressentons tout particulièrement en ce soir du Jeudi saint où nous fêtons d’habitude l’Eucharistie, nous sommes privés de la communion physique au Corps et au Sang du Christ.

Mais pas de sa présence, car nous pouvons dans la prière, comme le disciple que Jésus aimait, continuer à nous reposer sur le cœur de Jésus. Et participer à la messe par la radio ou la télévision, pour nous unir spirituellement à la célébration.

Mais pas de ses enseignements, non plus, car nous avons plein de possibilités de continuer à lire et méditer sa Parole… et souvent du temps libéré pour le faire. Profitons-en !

Et surtout pas du sacrement du frère, car même confinés, même en respectant la distanciation sociale (le mot est à la mode), rien ne nous empêche de continuer à nous laver les pieds les uns les autres. C’est même un moment privilégié pour prendre encore plus soin les uns des autres, en famille, entre voisins, dans le travail, pour ceux qui n’ont pas cessé leur activité professionnelle, en poursuivant un engagement solidaire, aussi.

« C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi,
comme j’ai fait pour vous
».

Frères et sœurs, dans notre prière de ce Jeudi Saint, nous faisons mémoire des deux gestes posés par Jésus avant d’entrer dans sa Passion : le lavement des pieds et l’institution de l’Eucharistie. Entrons avec Jésus au Jardin de Gethsémani. Suivons-le jusqu’au Golgotha. Accueillons chez nous Marie sa mère, comme le disciple que Jésus aimait. Viendra ensuite le temps du silence et de l’attente, dans le très long samedi qui s’en suivra. Il va durer plusieurs semaines encore, ce confinement. Mais nous savons aussi qu’à son heure viendra le matin de Pâques…

Vivons ce temps d’attente dans la prière et le service, pensant déjà au ‘’monde d’après’’ : ce monde, notre monde, aura plus encore besoin de laveurs de pieds.

« Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ».

AMEN

Loïc LAINE, 9 avril 2020

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